Objet : Discours de haine et de violence « La liberté d’expression et ses limites »
La Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) présente ses compliments au Gouvernement mauritanien dans ses efforts de bâtir un État de droit respectueux de la diversité culturelle de la Mauritanie et inspiré de nos valeurs islamiques. La CNDH rappelle la nécessité de respecter les droits de l’Homme notamment concernant les libertés publiques, liberté d’expressions et libertés d’association.
La CNDH rappelle par la présente, que l’obligation de respecter la liberté d’expression et la liberté d’association s’impose à tout État partie, considéré dans son ensemble, à tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), ainsi que toute autre autorité publique ou gouvernementale à quelque échelon que ce soit − national, régional ou local − à même d’engager la responsabilité de l’État partie.
Les libertés d’opinion et d’expression sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Ces deux libertés sont étroitement liées, la deuxième constituant le véhicule pour l’échange et le développement des opinions.
Les restrictions au droit d’expression ne sont permises que dans deux domaines limitatifs :
- Avoir trait soit au respect des droits ou de la réputation d’autrui
- Soit à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
On constate aujourd’hui une recrudescence du discours de haine, de violence et de racisme à travers les canaux de la liberté d’expression.
Les normes internationales interdisant les propos haineux sont établies par les articles 19 et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui imposent des limites (toujours légales, nécessaires et proportionnelles) au droit d’expression, pour assurer, s’agissant de l’article 19 :
- le respect des droits ou de la réputation d’autrui ;
- Soit à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ;
L’article 20 du PIDCP quant à lui :
- Interdit toute propagande en faveur de la guerre ;
- Prohibe toute promotion de la haine de nature nationale, raciale ou religieuse susceptible d’inciter à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.
La Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination raciale impose une interdiction de portée encore plus étendue. Son article 4 enjoint à tous les États signataires de traiter comme un acte criminel la propagation d’idées basées sur la suprématie ou la haine d’une race, l’incitation à la discrimination raciale, toute contribution à des activités de caractère racial, la participation à des organisations et à des activités organisées ou non qui encouragent la discrimination raciale de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans l’environnement numérique.
Les discours de haine n’ont qu’un but : nier l’existence morale de l’autre en portant atteinte à sa dignité humaine. En ce sens, les discours de haine sont une volonté manifeste de récuser la richesse de la diversité culturelle, l’aspiration à vivre ensemble et de nier également les valeurs de la démocratie, y compris de la liberté d’expression dans le respect de la pluralité des opinions et des appartenances que les instruments internationaux promeuvent et défendent. Force est de constater que c’est en usurpant la liberté d’expression que les tenants des discours de haine tentent de légitimer leurs propos et cherchent à les imposer.
Les États devraient renforcer leur lutte active contre les stéréotypes négatifs et la discrimination envers les individus et les communautés en raison de leur nationalité, leur ethnie, leur religion ou leur croyance comme les y invitent les articles 19 et 20 du PIDCP.
Il y’a nécessité de lutter contre la haine de manière globale et ce dans le plein respect de la liberté d’opinion et d’expression, tout en travaillant en collaboration avec les parties prenantes concernées, notamment les organisations de la société civile, les médias, les entreprises technologiques et les plateformes de médias sociaux.
Le système des Nations Unies estime que la lutte contre les discours de haine doit encourager l’expression, et non la dissuader. La liberté d’expression ne devrait pas viser la destruction des droits et des libertés d’autrui, notamment celle du droit à l’égalité et à la non-discrimination. La liberté d’expression et d’opinion n’est pas un droit absolu et ne doit pas s’exercer d’une manière incompatible avec les droits d’autrui.
Quelques exemples du Droit International de Droits de l’Homme
Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme :
Plan d’action de Rabat sur l’interdiction de tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence (2012).
- ONU
STRATÉGIE ET PLAN D’ACTION DES NATIONS UNIES POUR LA LUTTE CONTRE LES DISCOURS DE HAINE (2019)
- Faire face aux discours de haine ne consiste pas à limiter ou à interdire la liberté d’expression, mais à empêcher que ces discours n’en viennent à prendre des proportions plus dangereuses, notamment sous la forme de l’incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence, ce que le droit international interdit. (Page1) ;
- Le système des Nations Unies estime que la lutte contre les discours de haine doit encourager l’expression, et non la dissuader. (Page 4).
CEDR : Comité pour l’élimination de la Discrimination Raciale
Recommandation Générale n° 35
Lutte Contre les Discours de Haine Raciale (2013)
- Art 5 : Le droit à la liberté d’expression n’est pas illimité ; il s’accompagne de responsabilités et de devoirs particuliers. Il peut donc être soumis à certaines restrictions, à condition qu’elles soient prévues par la loi et nécessaires pour protéger les droits ou la réputation d’autrui ou sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique. La liberté d’expression ne devrait pas viser la destruction des droits et des libertés d’autrui, notamment celle du droit à l’égalité et à la non-discrimination. (Page 8).
UNESCO
Manuel pour combattre les discours de haine sur internet (2015)
- Tout individu a droit à la liberté d’expression et à une protection contre toute discrimination. En d’autres termes, chacun a le droit d’être protégé contre les discours de haine dans la mesure où ces discours incluent des objectifs discriminatoires (Morsink 1999). (Page 21) ;
Guide de l’OIF Lutter Contre les Discours de Haine
Dans les médias audiovisuels 2017 (Page 11)
- La lutte contre les discours de haine dans les médias constitue un impératif démocratique nécessaire à la sauvegarde de la démocratie elle-même. Elle\ apparaît comme une limite raisonnable de la liberté d’expression justifiée par la défense de la liberté d’expression elle-même.
Les réseaux sociaux
Le basculement des audiences des médias traditionnels vers ces nouvelles plateformes ajoute à la nécessité de prendre en considération ces nouveaux acteurs et de les responsabiliser. C’est dans ce sens que les compagnies Facebook, Twitter, Microsoft et YouTube ont reconnu « que la propagation des discours haineux illégaux en ligne a des répercussions négatives non seulement sur les groupes ou les personnes qu’ils visent, mais aussi sur ceux qui s’expriment en faveur de la liberté, de la tolérance et de la non-discrimination dans nos sociétés ouvertes, et nuit au discours démocratique sur les plateformes en ligne » et se sont engagées à suivre un code de conduite comprenant une série d’engagements pour lutter contre la diffusion en ligne de discours de haine illégaux.
En conséquence, la commission nationale des droits de l’homme interpelle le gouvernement afin de prendre les mesures nécessaires et légales pour assurer le respect de la liberté d’expression, dans les limites du respect des libertés d’autrui, et à appliquer scrupuleusement les textes relatifs à l’interdiction du discours de haine, de racisme et d’incitation à la violence, qui constituent en soi une violation des droits de l’homme, notamment en période électorale.
Pour la Commission Nationale des Droits de l’Homme
Me Ahmed Salem Bouhoubeyni